«Il n’y a même pas de jobs au noir»
"Já nem há biscates"Interview Portugal. Les Mendes à Evora
Chez les Mendes, on a toujours eu l’esprit de famille, mais jamais on n’a été aussi soudés qu’aujourd’hui. Par la force des circonstances. Jusqu’en 2011, Manuel et sa femme vivaient tant bien que mal, en location, dans une maisonnette de la rua da Moeda, dans le centre d’Evora, gros bourg de l’Alentejo. Deux retraités tirant le diable par la queue, dans un Portugal en récession. Lui, un ancien menuisier talentueux (les beaux meubles de la maison portent sa signature) émargeant à 375 euros par mois, victime de deux thromboses et d’un AVC. Elle, couturière pendant quarante-deux ans dans une usine, 190 euros de retraite, et un cancer de la gorge la rendant quasi immobile.
Le regroupement familial forcé commence l’an dernier. Leur fille, Maria Helena, qui tenait un restaurant avec un mari alcoolique et violent, quitte le domicile conjugal et se réfugie sous le toit parental, avec ses deux rejetons : Beatriz, 9 ans, sourde à 80%, et Iuri, 13 ans, un fou de foot, qui souffre de douleurs intestinales : «Je suis sûr que c’est lié aux problèmes de la famille !» rigole-t-il. Sa mère le pense aussi. Elle a le sourire facile et énergique. Sa situation n’a pourtant rien d’enviable : le restaurant a fait faillite, les indemnités chômage appartiennent au passé, elle touche le subsidio social subconsecuente, un revenu minimum d’insertion de 330 euros. «Heureusement qu’on bénéficie de la pension alimentaire de mon ex-mari bon à rien : 25 euros par mois !» dit Maria Helena, qui, dix heures par jour, travaille bénévolement à la Croix-Rouge.
L’irruption de Maria Helena dans le bercail a modifié la vie parentale. Manuel et sa femme, qui faisaient chambre à part depuis des années, ont dû réapprendre à dormir côte à côte. Maria Helena dort avec sa fille, Iuri est dans un petit lit. En septembre, la troisième chambre, nichée sous un escalier, a été occupée par Pedro, le fils de Manuel, qui doit aussi se blottir dans un petit lit avec son gamin : après douze ans chez Siemens, une usine d’assemblage à la sortie d’Evora, il a été congédié sans explication. A 40 ans, il se retrouve au chômage (comme 16% des actifs portugais), avec 700 euros d’indemnités. Il suit une formation d’électricien au cas «où un poste se libère quelque part». Mais il est pessimiste : «Tout est à l’arrêt, il n’y a même pas de quoi faire des jobs au noir.»
Chez les Mendes, il faut nourrir, habiller, payer les frais des sept personnes vivant sous le même toit. «On est très juste, lâche Manuel, le grand-père. Chaque jour, un de nous va chercher des repas à Caritas et on met tout en commun.» Il baisse la tête, sa dignité en prend un coup. Malgré ses 70 ans et ses ennuis cardiaques, il reste le pilier de ce havre familial résistant aux vents de crise. Seul moment de détente : la pêche, chaque jour. «J’oublie tout, et puis ça nourrit gratis !» Ce soir-là, il a rapporté douze beaux poissons, qu’il s’empresse de coincer dans un congélateur qui déborde. «On n’est jamais trop prudent. Jamais.»
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